Directeur de l’Institut de Stratégies d’Abidjan, chercheur pour le G5 Sahel et le réseau solution Think Tank (STT), Sylvain N’guessan, docteur en théorie politique de l’Université Félix Houphouët Boigny d’Abidjan, titulaire d’un master en défense, sécurité et gestion de crise (Iris Sup Paris) fait ici une analyse économique des impacts des attaques terroristes sur certaines régions de la Côte d’Ivoire. Il évoque par la même occasion les effets de la dégradation de la situation sécuritaire et du manque de vision stratégique des dirigeants sur la première économie d’Afrique de l’ouest francophone.
L’ouvrage « La sécurité économique de la Côte d’Ivoire face à la menace terroriste » de Sylvain N’guessan pourrait devenir d’ici quelques années pour les pays côtiers menacés par le terrorisme et pour la côte d’Ivoire spécifiquement, l’œuvre prémonitoire d’un déclin annoncé. Il se veut un document qui étudie la résilience de cet important pays côtier en Afrique de l’Ouest en cas de basculement géopolitique et sécuritaire au sahel, tout en préconisant une prise de conscience sur le renforcement de la sécurité et du renseignement.
Et on peut même dire que ce que redoute l’auteur est déjà en train d’arriver. A la page 116 de l’ouvrage, il est rapporté les propos ambitieux du président Alassane Ouattara qui entend consacrer désormais 1 % du PIB au budget de la défense. Le budget programme en 2021 était même en hausse de 07 %. Pour l’année 2024 qui s’annonce, ce budget est en baisse de 1,87 % par rapport à celui de 2023.
Ainsi, aux prétentions de l’étude national Prospective 2040, élaborée en 2014-2015 sous la responsabilité technique du Bureau national de la prospective et de la veille stratégique qui projette la Côte d’Ivoire comme une puissance industrielle à l’horizon 2040, l’auteur apporte un bémol.
Vu l’impact du terrorisme sur la qualité de vie chez les voisins directs que sont le Niger, le Burkina Faso et le Mali, « il va falloir parier que si des mécanismes de maitrise des risques économiques ne sont pas vite élaborés et mis en pratique, avant 2040, les conséquences néfastes des attaques terroristes sur le tissu économique ne font l’ombre d’aucun doute », renseigne l’auteur.
Pour ne pas connaitre le même sort que ses voisins et demeurer une force de production sous régionale, deux options s’offrent cependant à la Côte d’Ivoire. Il s’agit d’une part de poursuivre la réforme de son arsenal de défense et de sécurité et d’autre part, de développer une intelligence économique dans un contexte de guerre économique et géopolitique ambiante.
Vu l’impact du terrorisme sur la qualité de vie chez les voisins directs que sont le Niger, le Burkina Faso et le Mali, « il va falloir parier que si des mécanismes de maitrise des risques économiques ne sont pas vite élaborés et mis en pratique, avant 2040, les conséquences néfastes des attaques terroristes sur le tissu économique ne font l’ombre d’aucun doute », renseigne l’auteur.
L’intelligence économique comme moyen de prévention de l’insécurité
La protection du patrimoine, la délimitation des périmètres industriels et technologiques critiques et la lutte contre les activités de renseignement économique étrangères constituent, selon l’auteur, l’arsenal défensif de la sécurité économique. « La sécurité économique repose aussi sur une maîtrise de la sécurisation des données économiques ».
Dans ces différents domaines, l’auteur peint un tableau peu reluisant pour la Côte d’Ivoire et dénonce un manque de vision prospective et stratégique des dirigeants, propre d’ailleurs à la majorité des pays africains. « Identifier les risques liés au terrorisme et les maîtriser devient vital et stratégique pour les PME/PMI ivoiriennes » ; tout au moins dans certaines régions comme Téhini et Kafolo où les activités touristiques, culturelles et économiques sont au point mort depuis les attaques djihadistes signalées.
Promouvoir des champions nationaux, pour essayer de maitriser les risques économiques face à la menace terroriste, adopter une fiscalité allégée pour les entreprises qui investiraient dans les six régions qui font frontière avec le Mali et le Burkina Faso, songer à une protection du secteur industriel de ces zones par des tarifs préférentiels, des subventions, des restrictions de produits importés, investir dans le secteur de la recherche et du développement sont entre autres les solutions proposées par Sylvain N’guessan pour renforcer la souveraineté économique de la Côte d’Ivoire. L’axe sécuritaire ne sera pas du reste.
La modernisation de l’outil de défense en Côte d’Ivoire
Un faisceau d’institutions de formation militaire et stratégique assume aujourd’hui le retour de la Côte d’Ivoire comme terre pionnière dans le renforcement des capacités des officiers supérieurs des armées ouest-africaines avant la crise ivoirienne de 2002. De la création d’une école de guerre à l’Académie internationale de lutte contre le terrorisme (AILCT), l’armée ivoirienne en pleine reconstruction se professionnalise, en essayant de rattraper deux décennies de sous-investissement.
L’AILCT est un projet ivoiro-français qui vise à doter les pays du golfe de Guinée, de moyens humains, matériels et intellectuels pour se prémunir contre l’extrémisme violent.
En effet, les crises politiques successives n’ont pas fait qu’écorcher la confiance des populations dans le système politique ; elles ont aussi entamé le lien armée-nation. Les civils sont ainsi appelés à rejoindre et à contribuer à un cadre commun de réflexion sur une nouvelle politique de défense ivoirienne déclinée en cinq points ; à savoir : la stratégie de sécurité nationale, le livre sur la défense et la sécurité, la doctrine ivoirienne du renseignement, la loi de programmation militaire et une doctrine d’emploi des forces.
Les citations du livre retenues pour vous
- « Il n’existait pas de contrôle parlementaire des forces armées dont la mission essentielle était d’assurer la survie du régime », p.23
- « La lutte contre le terrorisme est une lutte de renseignement », p.119
- « Il ne s’agit plus de soumettre l’autre par la force mais de le rendre dépendant par la technologie », p.123
- « La maitrise totale des risques économiques est de l’ordre de l’idéal », p.144
- « Les TIC ont multiplié les possibilités de l’espionnage à caractère économique », p.158
- « La mise en place d’un Etat-major commun à tous les Etats en vue de l’élaboration d’une doctrine militaire s’impose », p.208
- « La part de l’Afrique dans l’impact économique du terrorisme est passé de 3,1 % en 2007 à 49,2 % en 2019 », p.66
- « Sans négliger l’apport des sciences humaines, il faudrait consacrer 75 % des heures d’enseignement [ … ] à nos besoins à savoir l’alimentation, la santé, la sécurité », p.223
- « La fin d’une guerre asymétrique est rarement le fait d’une victoire militaire », p.90
Livre / « La sécurité économique de la Côte d’Ivoire face à la menace terroriste, Perspectives africaines », 228 pages, Editions Zadié, 2023.