Crises et production des savoirs : Etat des lieux des universités au Sahel. C’est le thème d’une table ronde virtuelle organisée par le Think tank Citoyen pour l’Afrique de l’Ouest WATHI en partenariat avec le Club du sahel et de l’Afrique de l’Ouest (CSAO) dans le cadre des concertations sahéliennes initiées par le Club du Sahel en 2021. Une bonne partie de la discussion s’est appesantie sur l’impact du terrorisme au Sahel et de l’insécurité en général sur les systèmes éducatifs, en particulier sur l’apprentissage des jeunes et la recherche académique. C’était aussi l’occasion pour les invités de WATHI d’explorer les réponses que peuvent apporter les universités aux défis sécuritaires, malgré les fragilités qui les caractérisent. Pour rappel, le club du sahel et de l’Afrique de l’Ouest dont le secrétariat se trouve au sein de l’Organisation de Coopération et de Développement Economique (OCDE) est une plateforme internationale dédiée à la promotion de l’intégration régionale en Afrique de l’Ouest à travers la production de données, d’analyses éclairées et de débats permettant à la région d’anticiper les défis tout en favorisant les transformations positives souhaitées.
Une première prise de parole qui donne le ton avec la première femme Docteure en Informatique du troisième pays où le terrorisme a eu le plus d’impact en 2023. « L’instabilité a amené beaucoup de troubles au niveau de l’Université au Mali. Il y a eu une perturbation des cours. On n’arrivait pas à respecter le calendrier alors que le système LMD exige un certain nombre d’heures de cours pour pouvoir valider l’année. La situation sécuritaire est la priorité des autorités. Les revendications des enseignants sont reléguées au second plan. Il est arrivé que les enseignants partent en grève pendant des mois. Les gens oublient que tous les problèmes qu’on voit dans les autres secteurs ont leur source au niveau de l’éducation. Le recrutement de personnel aussi a été laissé pour compte. Beaucoup d’enseignants, désillusionnés, ont été débauchés par le secteur privé », assène, d’entrée de jeu, Dr Jacqueline Konaté, Directrice générale du Centre d’intelligence artificielle et de robotique (CIAR-MALI), enseignante-chercheure en mathématiques à la Faculté des Sciences techniques (FST). Toutefois, la crise sécuritaire constitue une occasion pour élargir les consultations aux acteurs du système éducatif pour trouver ensemble des solutions appropriées aux problèmes internes. « On n’a pas l’impression que toutes ces crises (sécuritaire, humanitaire, sociale, politique, économique et même identitaire) aient vraiment attiré l’attention de l’Etat sur l’importance des savoirs dans la fabrication des réponses aux défis actuels », fait remarquer le professeur Abdoul Karim Saidou, Agrégé de science politique à l’Université Thomas Sankara.
L’intervention de l’enseignant montre ainsi l’autre versant de la relation entre la production de savoirs africains et les crises sécuritaires qui surviennent. Recourir à l’intelligence collective scientifique africaine comme une pierre d’angle dans la recherche de solutions aux problèmes sécuritaires, pour produire les résultats escomptés, doit être cependant un réflexe, dès l’apparition des premiers germes perturbateurs de la cohabitation intercommunautaire. L’extension des repères de la crise au Niger aux années 2000 par Dr Oumarou Hamani, Directeur scientifique du Laboratoire d’études et de recherche sur les dynamiques locales et le développement social et local au Niger (LASDEL) a prouvé la réaction souvent tardive des autorités.
De son côté, la Mauritanie, malgré sa frontière avec le Mali, parvient à entretenir durablement sa stabilité ; faisant office d’exception dans la nébuleuse sahélienne en proie aux coups d’Etat et aux attaques terroristes. Ce qui fait le succès de la Mauritanie, c’est peut-être son approche réaliste orientée vers les savoirs endogènes. « En Mauritanie, on avait un institut supérieur sur les Sciences religieuses. On a transformé cet institut en une université sur les Sciences islamiques pour plus d’efficacité. Au niveau de cette entité, les chercheurs développent des recherches locales centrées sur la violence idéologique », éclaire le professeur Moussa Batchily Ba, enseignant-chercheur en histoire et civilisation à la retraite à l’Université de Nouakchott et conseiller au Haut Conseil de l’Education (HCE) en Mauritanie.
« En Mauritanie, on avait un institut supérieur sur les Sciences religieuses. On a transformé cet institut en une université sur les Sciences islamiques pour plus d’efficacité. Au niveau de cette entité, les chercheurs développent des recherches locales centrées sur la violence idéologique », éclaire le professeur Moussa Batchily Ba.
Malgré ces avancées palpables, il ne fait pas bon de s’appeler chercheur par les temps de crises sécuritaire et politique en Afrique, surtout lorsque l’on pratique certaines disciplines des sciences sociales. « Il est de plus en plus difficile d’être juriste, politiste ou sociologue parce que ces sciences traitent quelque part des questions politiques. La période n’est pas favorable à l’émergence des savoirs. Il y a une sorte de cabale contre les intellectuels, exacerbée par la percée des mouvements souverainistes ou panafricanistes alors que c’est de la confrontation de toutes les idées, que jailliront les solutions », souligne l’invité mauritanien qui a par ailleurs, participé à l’élaboration des stratégies nationales de prévention de la radicalisation et de l’extrémisme violent au Burkina Faso, au Mali, au Niger et au Tchad.
La situation difficile des chercheurs sahéliens ne les empêche pas pour autant de faire des recommandations aux dirigeants, même si ces derniers préfèrent des solutions ‘’fast-food’’ faites de décrets présidentiels à des choix politiques durables. « Quand on voulait faire la réforme foncière, les chercheurs ont dit au président qu’ils faisaient des recherches pour comprendre la situation. Ce dernier a répondu que c’était une perte de temps et qu’il allait régler les choses avec un décret. Au bilan, on voit que rien n’a été réglé parce qu’on n’a pas encore une connaissance suffisante sur l’évolution de la société par rapport au statut de la propriété territoriale », justifie le professeur Moussa Batchily Ba.
La situation difficile des chercheurs sahéliens ne les empêche pas pour autant de faire des recommandations aux dirigeants, même si ces derniers préfèrent des solutions ‘’fast-food’’ faites de décrets présidentiels à des choix politiques durables.
Il poursuit en révélant que si un chercheur fait un protocole de recherche pour comprendre comment l’incivisme progresse dans les centres urbains, il n’aura pas de financement. Les bailleurs ont leurs agendas qui ne sont toujours pas en adéquation avec les attentes du public. Les décideurs politiques, de leur côté, n’attendent pas forcément des chiffres avant d’augmenter l’effectif des forces de police. Et pourtant, comme le rappelait le Club du sahel en début de la table ronde virtuelle, aucune Nation ne peut se développer ni prospérer sans une vraie souveraineté en matière de production de savoirs portée entre autres, par les communautés à la base. « L’autre défi concerne la connexion entre la production des savoirs et leur valorisation effective dans la prise de décision. A quoi servent les connaissances si on ne les exploite pas pour les ambitions sociétales ? », affirmait à l’ouverture officielle de la table ronde, Sibiri Jean Zoundi, Directeur du Club du Sahel et de l’Afrique de l’Ouest (CSAO).
Même si les installations des universités du Burkina Faso, du Mali et du Niger ne font pas directement l’objet d’attaques terroristes, les crises sécuritaire et politique avec une défiance envers l’intégration viennent remettre en cause des acquis de plusieurs décennies aux plans national et sous régional ; maintenant ainsi les Etats du Sahel dans le cercle vicieux d’un éternel recommencement.