Historiquement, après la création de l’Organisation de l’Unité Africaine (OUA) en 1963, les Nations Unies avaient tout abandonné au profit des puissances étrangères (notamment les Etats-Unis, la France…). La période étant marquée par la constance des interventions extérieures, les deux superpuissances, comme les anciennes puissances coloniales, n’ont eu de cesse d’exprimer leur préférence pour des solutions africaines, étant donné que le volet opérationnel du maintien de la paix ne relevait pas du ressort des Africains.
L’OUA était dotée simplement d’un Conseil de Médiation, de Conciliation et d’Arbitrage, un organe qui était inscrit dans sa Charte mais malheureusement n’avait jamais fonctionné. La présence des forces françaises et américaines à partir des années 1990 sur le continent, à l’occasion de la guerre civile au Congo (Congo Démocratique), au Rwanda, en Somalie … était ainsi décrite comme une forme de soutien à la montée en puissance des armées africaines. Mais, les déboires politico-militaires de ces puissances occidentales dans les crises rwandaise et somalienne notamment, la débâcle de l’armée américaine lors de l’opération Restore Hope (Restaurer l’espoir en Somalie), et des autres forces de l’opération des Nations Unies en Somalie (Opération des Nations Unies en Somalie II), rendent compte des difficultés sur le théâtre des opérations.
La Bataille de Mogadiscio à l’hôtel Olympia, le 03 octobre 1993, qui s’est soldée en un jour par la mort de 18 soldats, et 75 blessés dans les rangs de l’armée américaine, apparait comme l’un des éléments les plus déterminants dans le repositionnement. A partir de ce moment, l’ONU et les puissances occidentales vont largement détourner leur attention du continent et commencer à avoir de la réticence à déployer sur le terrain africain leurs soldats, pour se concentrer sur d’autres régions. La diplomatie américaine, suivant une politique de désengagement multilatéral, réduisait considérablement sa coopération militaire avec l’Afrique en ce sens que le Pentagone déclarait que l’Afrique ne représentait aucun intérêt vital ou même stratégique pour les Etats-Unis. Cet échec traumatisant de l’intervention américaine en Somalie, a renforcé le désengagement, et les Etats-Unis étaient disposés à jouer les gendarmes partout dans le monde sauf en Afrique.
La diplomatie américaine, suivant une politique de désengagement multilatéral, réduisait considérablement sa coopération militaire avec l’Afrique en ce sens que le Pentagone déclarait que l’Afrique ne représentait aucun intérêt vital ou même stratégique pour les Etats-Unis.
Il s’agissait plutôt de mobiliser les soldats africains qui vont pouvoir travailler sous la gouverne des Nations Unies sur leur propre territoire. Alors, si les soldats africains sont capables de maintenir la paix sur leur propre territoire, au profit des Nations Unies, comment ne pas se doter de leur propre armée capable de le faire ? Étant entendu que la conjoncture internationale recommandait déjà la décentralisation du maintien de la paix dans le monde, conformément au Paragraphe 63 du chapitre VII de ‘’l’Agenda pour la paix’’ qui reconnaissait déjà que … les accords et organismes régionaux peuvent rendre de grands services s’ils agissent de manière compatible avec les buts et principes de la charte des Nations Unies et si leurs relations avec l’ONU, en particulier avec le Conseil de sécurité, sont conformes aux dispositions du chapitre VIII de la Charte…
L’accent ici est mis sur l’intérêt pour les Nations Unies d’entretenir des liens étroits et continus avec les organisations régionales dans de nombreux domaines tels que la prévention des conflits, le maintien de la paix, le rétablissement de la paix, l’imposition de la paix, l’assistance électorale, la surveillance et le respect des droits de l’homme, l’action humanitaire, ainsi que sur d’autres activités de consolidation de la paix et de lutte contre le terrorisme. Au fait, la relation est régie simultanément par une forme de subordination des organisations régionales à l’ONU et de complémentarité sur le plan opérationnel, chacune des organisations régionales participant à l’effort global de maintien de la paix en fonction de ses propres capacités. On se rend bien compte que la question de la création des capacités africaines de maintien de la paix dénote l’autodétermination stratégique de l’Afrique.
On se rend bien compte que la question de la création des capacités africaines de maintien de la paix dénote l’autodétermination stratégique de l’Afrique.
Elle permet notamment de donner une certaine vigueur au maintien de la paix en Afrique, pour une émancipation stratégique de l’Afrique sur le plan sécuritaire et du maintien de la paix. Les défaites des armées américaine et française en Somalie et au Rwanda ont contribué, faut-il le rappeler, à la réticence des Nations Unies et des occidentaux qui ne voulaient plus gérer les problèmes africains sans les Africains, craignant ainsi un enlisement et des conséquences que la mort des soldats Occidentaux sur le terrain africain fait peser sur leurs gouvernements respectifs.
Mais, conscients des problèmes, les pays occidentaux ont créé des programmes visant à renforcer les capacités des armées africaines. Ainsi, la France dans sa volonté de redorer son image internationale en Afrique, ternie par sa présupposée connivence avec le régime génocidaire rwandais, va réorienter ses interventions sur le terrain. Cet interventionnisme ne consistera plus, comme le soulignait le président Valéry Giscard d’Estaing en 1978, « au renforcement des capacités des Africains à résister aux ingérences extérieures ; il s’agira en priorité d’aider l’Afrique à bâtir, comme elle en a l’ambition, son propre dispositif de sécurité collective ».
La différence est perceptible en ce sens qu’il se dégage une ambition de mettre fin à une forme de paternalisme et de limiter l’engagement occidental sur le terrain des opérations de paix en Afrique. En effet, la succession de l’UA à l’OUA a permis aux dirigeants africains de procéder à une révolution dans les principes régissant le maintien de la paix et de la sécurité internationale en Afrique. On est passé d’une période où le maintien de la paix était davantage du ressort des armées étrangères sur le territoire africain, à une période où la régionalisation était l’affaire des Africains, c’est-à-dire que les missions des Nations Unies mobilisaient en grande partie, les soldats africains sur leur propre territoire. Nous avons frôlé le stade marqué par la dépendance opérationnelle de l’OUA à l’égard des Nations Unies, pour la création d’une capacité africaine de maintien de la paix par l’UA, une organisation portée par un défi d’émancipation stratégique, d’autodétermination et d’appropriation africaine… Il s’est agi pour l’UA de tirer les leçons de l’échec du passé afin d’institutionnaliser les modalités lui permettant d’atteindre son objectif, même si le bilan semble plutôt mitigé. A cet effet, le système africain de sécurité régionale, articulé autour du Conseil de Paix et de Sécurité (CPS), apparait ambitieux au regard du dispositif opérationnel.
Les capacités de déploiement de l’Organisation ont été optimisées et réoptimisées. En témoignent le Système continental d’alerte rapide, le Fonds africain pour le maintien de la paix, la Capacité Africaine de Réponse Immédiate aux crises (CARIC), le Comité d’Etat-major (y compris les quartiers généraux de commandement) … Ces instruments montrent à suffisance que le maintien de la paix en Afrique est un projet décisif, un projet voulu, souhaité, mais un projet difficile à mettre en œuvre, du fait d’une pluralité de contingences, tant internes qu’internationales. Parmi ces difficultés, on peut citer entre autres l’échec du fédéralisme, les contingences politiques, économiques, géostratégiques et structurelles…
Les puissances étrangères vont continuer à avoir une certaine influence sur le continent africain. Il n’est donc pas question pour celles-ci, de se désintéresser totalement des affaires africaines, de la formation et l’entraînement des soldats africains. Les conséquences humanitaires de certaines crises africaines (Rwanda, Somalie, Darfour …), ont suscité l’indignation des opinions publiques occidentales, mettant ainsi ces gouvernements dans l’impossibilité de rester les bras croisés. En outre, les nouvelles menaces comme le terrorisme et la piraterie, ont replacé l’Afrique au cœur des préoccupations des grandes puissances.
Au fait, la pratique du maintien de la paix en Afrique depuis les indépendances, est un métissage institutionnel fait de dynamiques endogènes africaines et celles exogènes importées. Elle se donne ainsi à voir comme le produit d’un processus d’hybridation, et se situe à mi-chemin des logiques africaines d’expérimentation du maintien de la paix, mais ne s’inscrit pas moins dans le dispositif global de sécurité collective internationale.