La solution à deux états, soutien à Israël, les pays africains n’ont pas la même position sur le conflit israélo-palestinien ravivé; en dépit de l’impact des tensions au Moyen-Orient sur le développement économique et des partenariats stratégiques sur le continent. Roland Lombardi, en six questions, fait le tour du sujet dans cet entretien accordé à votre média. Docteur en Histoire, géopolitologue et spécialiste du Moyen-Orient, il enseigne à Aix Marseille Université et à Excelia Business School de La Rochelle. Il est le fondateur et le directeur de publication du média Le Diplomate. Ses derniers sont ouvrages: Poutine d’Arabie (VA Éditions, 2020), Sommes-nous arrivés à la fin de l’histoire? (VA Éditions, 2021) et Abdel Fattah Al-Sissi, Le Bonaparte égyptien? (VA Éditions, 2023).
On en parle très peu, dites-nous M. Roland Lombardi, quelles sont les implications pour l’Afrique de la guerre entre le Hamas et Israël ?
Roland Lombardi : La première conséquence en Afrique du conflit entre le Hamas et Israël à Gaza, c’est l’arrêt provisoire ou la mise entre parenthèses de la formidable offensive diplomatique d’Israël visant à gagner de l’influence sur le continent.
Depuis des décennies, Israël est loin d’être isolé et n’est pas un État paria en Afrique. Les Israéliens s’y sont très vite fait de nouveaux partenaires et ont trouvé de nouveaux soutiens dans les votes aux Nations unies. Dans la droite ligne de sa doctrine de la “diplomatie périphérique”, axée sur l’établissement de liens étroits avec les pays musulmans non arabes, l’État hébreu a depuis longtemps scellé de solides coopérations avec nombre d’États africains, dépêchant sur place des experts dans divers domaines comme la sécurité, la technologie, l’éducation, le bâtiment, le traitement de l’eau ou l’agriculture.
Rares sont alors les pays africains qui peuvent prétendre ne pas devoir leur essor postindépendance à l’aide et à l’expertise israéliennes dans une multitude de secteurs.
En 2021, Israël a même obtenu le statut d’observateur au sein de l’Union africaine (UA). Mais cette décision a été critiquée et remise en cause depuis les évènements en cours à Gaza.
Le 7 octobre 2023, 12 pays avaient déclaré leur soutien au Hamas dont la Mauritanie, l’Algérie, la Tunisie, la Libye. Comment analysez-vous la position des États africains sur cette crise ?
Roland Lombardi : Dans un communiqué diffusé juste après l’attaque du Hamas du 7 octobre dernier, l’UA avait imputé la responsabilité du conflit à Israël en insistant sur le point que « le déni des droits fondamentaux du peuple palestinien, en particulier le droit à un État indépendant et souverain, est la cause première des tensions continues entre Israël et la Palestine ». Or depuis, et ce même après les terribles représailles israéliennes sur Gaza, plusieurs États membres ont préféré prendre leurs distances, adoptant des positions plus pragmatiques, moins émotionnelles et qu’ils jugent plus conformes à leurs agendas et intérêts propres.
Grosso modo, aujourd’hui, il y a trois catégories qui se dessinent. Une catégorie pro-israélienne, représenté par le Kenya, le Ghana, la République démocratique du Congo (RDC), la Zambie et le Cameroun, une catégorie pro palestinienne représentée par l’Afrique du Sud, l’Algérie, le Soudan, le Tchad, la Tunisie et plusieurs autres pays d’Afrique du Nord, et enfin une dernière catégorie composée des non-alignés, dont les représentants les plus notables sont le Nigeria, l’Ouganda, l’Angola et la Tanzanie.
Plusieurs pays africains ont appelé à la désescalade et à la retenue à la suite de l’attaque de l’Iran contre Israël tandis que d’autres ont affiché un soutien à Israël. Quel impact un embrasement du Moyen-Orient pourrait avoir sur l’Afrique ?
Roland Lombardi : Tout d’abord, et on l’a vu depuis, je ne pense pas qu’il y ait un embrasement du Moyen-Orient, et ce en dépit des tensions très fortes aujourd’hui. Même si rien n’est écrit et que nous ne sommes pas à l’abri d’un incident grave qui mettrait le feu aux poudres. En attendant, aucun des acteurs de la zone n’y a intérêt, ni Israël ni l’Iran et encore moins les pays arabes de la zone. Je pense même qu’au final, la plupart des pays arabes et africains, même s’ils ne l’affichent pas officiellement, attendent impatiemment la fin du conflit à Gaza, voire l’éradication pure et simple promise par les Israéliens, de l’organisation terroriste du Hamas, pour construire l’après-Hamas en Palestine et reprendre des relations normalisées déjà bien entamées avec l’État hébreu.
Il en va de même pour les pays africains. D’abord, ceux proches d’Israël ou neutres mais également ceux de la catégorie des pro palestiniens. Ces derniers États et gouvernements, majoritairement musulmans, sont sensibles à la cause palestinienne, comme certains pays arabes. Ils se sont montrés hostiles à Israël dans la situation actuelle à cause de leurs opinions publiques. (Certains diront que c’est un moyen pour détourner celles-ci des problèmes internes…). Mais au final, ils savent pertinemment que les manifestations ou troubles sur leurs territoires, liés aux évènements à Gaza, sont principalement organisés et manipulés par des organisations islamistes, soutiens du Hamas.
Je pense même qu’au final, la plupart des pays arabes et africains, même s’ils ne l’affichent pas officiellement, attendent impatiemment la fin du conflit à Gaza, voire l’éradication pure et simple promise par les Israéliens, de l’organisation terroriste du Hamas, pour construire l’après-Hamas en Palestine et reprendre des relations normalisées déjà bien entamées avec l’État hébreu.
Quelles sont vos propositions pour que l’Afrique, dans sa diversité, soit une voix qui compte dans la résolution des crises, puisqu’on a vu que l’économie du continent a été affectée par la crise en Ukraine ?
Roland Lombardi : Justement, c’est la trop grande diversité de l’Afrique (une dizaine d’organisations régionales) et de l’Union africaine qui empêche d’avoir une voix commune et forte pour essayer de peser sur les crises.
D’ailleurs, il est trop simpliste de parler d’ « Afrique » au singulier. Certes, sur le globe, le continent africain est nettement dessiné, or même si l’Union africaine est de plus en plus active, qu’il y a une rhétorique unitaire et un projet de marché commun africain, il n’en reste pas moins qu’on ne peut pas parler raisonnablement d’une Afrique. On le voit aussi avec les liens extérieurs, avec les anciennes puissances coloniales, ou encore avec les nouveaux partenaires, Chine et Russie en tête, mais également l’Inde, les Émirats, le Qatar, la Turquie, le Japon, le Brésil et même, on l’a dit, Israël.
Un pays africain comme membre permanent du Conseil de sécurité de l’ONU, serait-ce là la solution ?
Roland Lombardi : Pour l’instant ce n’est pas d’actualité. On parle bien sûr de l’Afrique du Sud, mais cela reste un vague projet. De toute manière, aucun pays africain ne remplit pour l’instant les critères de puissance, d’économie et d’influence, nécessaires pour intégrer le cercle très fermé du Conseil de sécurité de l’ONU.
Parlant de la Palestine, le président égyptien et le secrétaire général de l’ONU ont appelé à créer des conditions propices à la mise en œuvre de la solution à deux États, qu’ils ont décrite comme « la seule voie pour parvenir à la justice, à la sécurité et à la stabilité dans la région ». Comment en Afrique, notamment au nord, les États peuvent contribuer à une solution à deux États ?
Roland Lombardi : Il semble avéré aujourd’hui que l’objectif principal des Israéliens soit bel et bien la suppression définitive du Hamas de l’équation. Dès lors, la question de l’avenir de la bande de Gaza reste posée comme bien évidemment les relations entre l’État hébreu et l’Autorité palestinienne, complètement discréditée chez les Palestiniens. Inévitablement, les Israéliens devront à terme se résoudre à la paix avec le concept des « deux États ». Il n’y a pas d’autres issues. Même si le problème dans ce conflit, demeure le fait que certains Israéliens et Arabes n’ont, malheureusement aucun intérêt à la paix.
Inévitablement, les Israéliens devront à terme se résoudre à la paix avec le concept des « deux États ».
Quoi qu’il en soit, espérons juste qu’un bien sortira de cet ultime et dramatique épisode de ce trop long conflit israélo-palestinien. Ce qui est certain, c’est que l’Égypte de Sissi, l’Arabie saoudite de MBS et les Émirats arabes unis, qui sont depuis le début au cœur des négociations avec Israël tout comme le Qatar, dernier soutien du Hamas, mais qui depuis est en net recul, y travaillent sérieusement. Lorsqu’une future solution de paix entre Israéliens et Palestiniens sera enfin trouvée, assurément et à n’en point douter, ces trois pays, puissances régionales incontournables et partenaires de l’État hébreu, y seront pour quelque chose.